Voyage, voyage, le carnet à histoires

Il sent bon​ l’aventure​ et les souvenirs glanés au détour d’une route qui n'apparaît pas sur la carte. Il voyage en clandestin, sans visa, bien au chaud dans une poche, un sac rafistolé ou en soute dans une malle dont on a vérifié le cadenas trois fois. Tour d’horizon du carnet de voyage, cet objet chéri.

Rétrospectives

Voyager dans l’histoire

La Renaissance. L’Europe renoue avec la culture, l’élégance, les architectures raffinées.L’imprimerie est née, et avec elle une fabrication du papier plus adaptée. L’Italie attire tous les regards. Florence et Venise fascinent. On y vient pour parfaire son apprentissage, explorer les paysages de Toscane et entrer dans l’âge adulte. De leur initiation, les voyageurs en tirent des carnets dans lesquels ils consignent ​leurs ressentis ​et ​leurs observations​. Peu à peu, le terrain de jeu s’étend. Marco polo ouvre la voie de la Route de la Soie, Christophe Colomb et Amerigo Vespucci découvrent le Nouveau Monde pendant que Fernand de Magellan réalise une circumnavigation. Les marins, les explorateurs les géographes, les botanistes parcourent le monde pendant de longs mois. Leurs carnets recensent ce qu’ils voient. Ils évoquent la météo, les saisons, les découvertes culinaires, les rencontres, les façons de faire. En écrit et en dessin. Ils sont bientôt rejoints par les écrivains qui puisent dans le voyage une inspiration romantique. Les peintres et les artistes favoriseront la fascination pour l’Orient et les îles lointaines.Véritables observateurs , les découvreurs du monde sont les témoins de moments et de civilisations. Le journal de bord aide l’ethnologie à se développer. Le carnet de voyage connaît des évolutions, des mutations en même temps que l’Homme évolue. En trame narrative avec Victor Hugo, en peinture exotique aux Marquises sous le pinceau de Paul Gauguin, en précis de botanique et de géographie avec Théodore Monod, en collage loufoque avec les surréalistes et maintenant en blog ou en vidéo, le carnet n’en finit pas de se réinventer.

Écrire l’histoire

Pourquoi un tel engouement pour un carnet chiffonné ? Comment les carnettistes sont-ils liés à leur objet fétiche ? Il faut se tourner vers les fonctions du carnet de voyage pour en cerner toute l ’importance. Un carnet de voyage, c’est tour à tour et tout à la fois :

• Un objet d’introspection​. Prendre le temps de se pencher sur ses émotions pour mieux les ressentir et les analyser.
• Un pense-bête​. Les paroles s’envolent, les écrits restent et avec eux une idée, une sensation, une impression, une rencontre fugaces.
• Un passeur de mémoire​. Pour soi, pour les lecteurs et pour sa descendance, le carnet de voyage assure la transmission d’anecdotes personnelles.
• Un éloge de la lenteur​. Tenir un carnet c’est aller à contre-sens des rythmes infernaux, saccadés et centrés sur l’argent. C’est s’offrir un temps pour soi en surfant sur la tendance du slow.
• Un créateur de lien​. S’asseoir pour dessiner, interpréter, attire l’attention. Les curieux ne tardent pas à s’approcher, la rencontre peut alors avoir lieu même dans une autre langue.
• Une distraction​. Dans un train surchauffé qui déroule inlassablement un paysage de taïga entre Vladivostok et le lac Baïkal, ou dans un taxi brousse bondé et cahotant, le transport est un temps fort pour la tenue du journal de bord.
• Un agitateur de créativité​. Parce qu’il est forcément intime et plein de ce que l’on fait de mieux, un carnet de voyage stimule nos énergies créatrices.

Manières de faire

Objet intime

Le carnet de voyage est, par essence, ​personnel​. Il peut donc prendre ​des formes multiples ​en fonction de ​​l’imagination​ ​de chaque carnettiste qui s’essaye. Il n’a de règles que celles que l’on se fixe. Globalement, deux écoles s’affrontent :

• - Les spontané(e)s. Le carnet se fait sur le vif.
• - Les perfectionnistes. Ici on travaille le carnet en amont et a posteriori du voyage.

Ces pratiques peuvent bien sûr se mixer, se superposer, s’adapter. C’est tout le jeu du carnet de voyage, ​​créer un objet qui nous ressemble​.​ Un carnettiste est forcément un peu rêveur, artiste, ancré dans le réel, collectionneur compulsif, observateur assidu, linguiste en herbe, tâtonneur, explorateur du lointain ou du proche.

Question de style

Trouver la façon de s’exprimer qui nous convient le mieux demande des ajustements, des tentatives parfois non satisfaisantes, de la persévérance et de l’auto-discipline. Le carnet de voyage s’appuie souvent sur plusieurs techniques, qui assemblées créeront notre propre patte.Pour faire vivre ses pages, on peut avoir recours à

• La rédaction. Les faits juste les faits, ou des pages d’émotions, ou simplement quelques lignes pour mettre en mots les expériences. Il peut être bon de noter au moins la date et les lieux.
• La photographie. Des appareils instantanés ou des imprimantes nomades permettent d’insérer de l’image. Les tirages peuvent être découpés ou compilés dans des collages pour plus de créativité.
• Le collage. Emballages, tickets de transport, coupures de journaux locaux, trouvailles viennent agrémenter un journal de bord. On peut créer des superpositions ou des détournements d’image par collage multiple.
• Le dessin. Peinture acrylique, gouache, fusain, crayon, encre de Chine donnent de la couleur et du relief. Des schémas, dessins humoristiques, bandes dessinées peuvent venir au secours des dessinateurs novices.Les spécialistes ne se lasseront pas de faire des représentations de paysages, portraits, scènes de vie.
• La calligraphie. Les changements de typographie et les lettrages pourront mettre en avant certaines informations. S’essayer aux alphabets des pays traversés amènera une touche d’exotisme.
• Le scrapbooking. L’émergence des loisirs créatifs a vu l’arrivée sur le marché et dans les carnets d’éléments décoratifs : scotch à motif, ruban à message, papier imprimé, tampon encreur qui permettront de travailler autour de thématiques.

Carnettiste, pourquoi pas moi ?

On ne vous promet pas d’être édité comme ​Titouan Lamazou, Stéphanie Ledoux ou Véronique Durruty mais n’importe qui peut se lancer dans l’élaboration du carnet de voyage.

• Je ne voyage pas, puis-je faire un carnet de voyage ?
  Oui. Vous y parlerez de vos voyages immobiles, de vos aventures au bout de la rue et de vos tribulations intérieures.
• Qu’est-ce que je mets dedans ?
  Ce qui vous parle et vous évoque des sensations. Attention toutefois aux denrées périssables. Vous ne pourrez pas garder un morceau de loukoum de cette incroyable pâtisserie stambouliote, mais le papier d’emballage ou la carte de visite oui. Les épices pourront être agrafées dans des petits sachets par exemple et les feuilles d’arbres devront être séchées au préalable.
• Je voyage léger, vais-je devoir transporter un container de matériel ?
  Vous n’aurez pas besoin de trop de choses : un carnet bien choisi, un crayon, une gomme, un taille-crayon, un tube de colle, du scotch, votre stylo préféré et ce dont vous vous servez d’habitude pour vos dessins. Les choses les plus simples sont souvent celles dont on se servira sans complexe.
• J’aimerai bien mais je ne sais pas m’y prendre.
  Vous trouverez de l’inspiration au Rendez-vous du Carnet de Voyage, une fois par an à Clermont Ferrand. La revue​ valorise les témoignages d’aventuriers modernes avec une jolie mise en page. Les rayons de librairies spécialisées et internet vous ouvriront les portes de mondes croqués par d’autres.
• J’aurai voulu être un artiste, mais je n’ai pas de talent.
  La dextérité se travaille, peu à peu vous trouverez votre style et développerez des techniques pour optimiser le rendu. Vous pouvez apprendre à dessiner avec des cours ou des tutos. Il est désormais possible de s’offrir des vacances encadrées pour travailler son approche du carnet. La créativité est un cercle vertueux : plus vous créez plus vous avez d’idées, en même temps que vos compétences se développent. Le secret c’est d’​oser​ et de persévérer.