Mots doux précieux, listes de courses chiffonnées, factures annotées, romans marquants, paperasses administratives, emballages protecteurs, récits de voyage envoûtants. Mille usages​ et​ un support universel : le papier. Rétrospective sur un matériau millénaire​ qui n’a pas fini de​ faire parler de lui.

Le futur sera t-il papier ?

Le papyrus fait de la résistance

À l’aube du XXIème siècle, on le disait obsolète, bientôt relégué au rang de souvenir vintage. Les nouvelles technologies viendraient le supplanter et le rendre inutile. Pourtant, l’industrie papetière ne s’est jamais aussi bien portée. Le développement de l’informatique a entraîné une forte nécessité d’imprimer, et donc un accroissement des volumes de papier utilisés. On estime que chaque seconde dans le monde se produisent 13 kilos de papier​, soit pour l’année 2016,​ une production de pas moins de 410 000 000 000 kilos. La Chine et les États-Unis fabriquent à eux deux presque la moitié de la production mondiale de papier quand la France n’occupe que la huitième place du classement. Les pays émergents d’Amérique latine, d’Afrique, du Moyen-orient et de l’Asie du Sud-Est seront de plus en plus nombreux à utiliser le papier.

Le virage vert

Des utilisateurs de plus en plus nombreux, des usages démultipliés, une hyper production. La forêt voit rouge. La fabrication du papier n’est pas étrangère à la déforestation. Pour lutter contre ce fléau, de plus en plus d’entreprises papetières adoptent une démarche éco-responsable​. Des labels garantissent des gestions durables et les matériaux recyclés sont valorisés. Les techniques de blanchiment vont vers moins de toxicité. Ainsi, les paroles continueront de s’envoler quand les écrits resteront, tout en faisant attention à la planète.

Comment le papier a t-il traversé les ans ?

Les civilisations de l’écriture

Il semble que de tout temps, l’Homme ait voulu tracer, laisser une empreinte de sa présence. Certaines cultures, notamment en Océanie, ont une tradition orale forte. Pour d’autres organisations sociales, l’écrit est un important moyen de communication​ . Il permet de :​

-  Faire respecter la loi. D’un bout à l’autre du pays, les édits affichés font connaître les règles et les punitions.

-  Compter. Le bétail, le grain et les gens pour assurer une répartition des denrées. 

-  Transmettre. Les idées et idéologies peuvent circuler. Les générations nouvelles ont connaissance du savoir des ancêtres.

Un secret bien gardé

L’Égypte et le bassin méditerranéen ont longtemps utilisé un procédé vieux de 5 000 ans de superpositions de bandelettes de fibres : le papyrus. L’Europe, de son côté a préféré le cuir tanné d’un parchemin. 

Ces cultures ignoraient alors tout de la pâte à papier​. Loin de ces latitudes, bien au delà de​ l’Oural,la Chine​ veille comme une mère sur un matériau précieux. Le pays est vaste, il faut un​ média fiable et facile à transporter pour asseoir le pouvoir de la dynastie installée. En 105, ​ Cai Lun, dignitaire de la cour impériale des Han, revendique l’invention d’​un procédé novateur :​ la pâte à papier. Il s’inspire de ce que la nature met à disposition pour créer un support d’écriture. Écorces d’arbre, mûrier notamment, fibres de lin et de chanvre constituent les ingrédients de la pâte à papier. L’homme devient un héros national, célébré dans un temple érigé en son honneur, des centaines d’années plus tard.

Durant des années, le secret reste préservé. Les ateliers papetiers et les moines bouddhistes veillent au grain. Seul le Japon, bien loin du reste du monde, a vent du procédé et le développe.

Mais l’Histoire n’a pas dit son dernier mot.

Une lente mondialisation

Juillet 751​. Kirghizistan actuel, Talas ton univers impitoyable. Est-ce une guerre de territoire ou​ de religion que se livre les Chinois et les Arabes ? Les prises d’otage sont ciblées, les Arabes veulent connaître les technologies de l’Empire du Milieu : poudre à canon, soie et papier sont les enjeux majeurs. La fabrication du papier rejoint le rang des connaissances arabes. Samarcande​  et Damas deviennent les cités de production du Moyen-Orient. Avec le papier, l’Islam gagne des fidèles sur son territoire et ailleurs. 

Le procédé de fabrication du papier se répète et s’implante petit à petit. Les fibres végétales et les chiffons sont mis à tremper dans​ l’eau avant d’obtenir une pâte homogène. Un tamis permet​ de séparer l’eau de la fibre. Les feuilles sont pressées, séchées puis recouvertes d’une pellicule d’amidon de riz. 

Autour de ​900​, l'​Égypte​ adopte la pâte de papier.

Le territoire arabe s’étend progressivement vers l’Europe via l’​Espagne​ et ​la Sicile​.

Fabriano​, ville de la région des Marches en Italie, devient la plus ancienne fabrique de papier du monde chrétien en ​1276​. On y invente le filigrane et on y modernise la production. Les formats s’y diversifient. La gélatine animale remplace l’amidon de riz. Le broyage des chiffons y est mécanisé. La production devient plus intense. 

En ​France​, il faut attendre le début du ​XIVème siècle​ pour s’y intéresser, d’abord timidement. Johannes ​Gutenberg​ ​et son invention des caractères mobiles offre au papier de nouvelles perspective​s. Les protestants impriment largement pour diffuser leurs idées. Le chiffon, matière première, se fait rare, les prix flambent, le recyclage est utilisé. La Renaissance voit les philosophies fleurir, la France en profite pour devenir incontournable dans l’industrie papetière.

Aux ​Pays-Bas​, en ​1673​, se murmurent des théories d’amélioration de la technique d’imprimerie.

Le ​cylindre hollandais​ permet de faire des économies de main d’​œuvre, de temps et d’énergie. L’idée fait des émules et rejoint bientôt les rives de l’​Angleterre​. La ​Révolution industrielle​ se profile, les tirages de journaux s’intensifient. À leur tour, les ​États-Unis​ voient l’intérêt de se tourner vers la manne que représente le papier. 

Les pâtes chimiques font leur apparition en même temps que les scientifiques mettent à jour la cellulose​. Le papier devient plus robuste, on peut désormais produire plus et plus vite. Les machines à papier n’en finissent plus de se perfectionner. L’an 2000 voit naître une machine capable de créer une feuille de papier de 1,8 kilomètres par minute. La mondialisation va aujourd’hui beaucoup plus vite. Le papier a mis des siècles pour s’implanter d’un pays à l’autre, quand de nos jours une rame de papier peut être utilisée à des kilomètres de son lieu de production en seulement quelques heures.

Rien ne semble entraver le développement de ce matériau qui a tant d’années au compteur. Cet article sans prétention, a, par exemple, nécessité 6 pages de papier format A4 recto verso. La prochaine fois que vous rédigerez un Post-it, c’est un pan entier de l’histoire de l’humanité que vous déroulerez.